Quelques poèmes

Le petit bonheur

C'est un petit bonheur
Que j'avais ramassé
Il était tout en pleurs
Sur le bord d'un fossé
Quand il m'a vu passer
Il s'est mis à crier:
«Monsieur, ramassez-moi,
Chez vous amenez-moi

Mes frères m'ont oublié, je suis tombé, je suis malade,
Si vous n' me cueillez point je vais mourir, quelle ballade!
Je me ferai petit, tendre et soumis, je vous le jure,
Monsieur, je vous en prie, délivrez-moi de ma torture!»

J'ai pris le p'tit bonheur,
L'ai mis sous mes haillons,
J'ai dit «Faut pas qu'il meure,
Viens-t'en dans ma maison.»
Alors le p'tit bonheur
A fait sa guérison
Sur le bord de mon coeur
Y avait une chanson.

Mes jours, mes nuits, mes peines, mes deuils, mon mal, tout fut oublié
Ma vie de désoeuvré, j'avais dégoût d' la r'commencer
Quand il pleuvait dehors ou qu'mes amis m' faisaient des peines
J' prenais mon p'tit bonheur et j' lui disais «C'est toi ma reine!»

Mon bonheur a fleuri
Il a fait des bourgeons
C'était le paradis
Ça s' voyait sur mon front
Or un matin joli
Que j' sifflais ce refrain
Mon bonheur est parti
Sans me donner la main

J'eus beau le supplier, le cajoler, lui faire des scènes,
Lui montrer le grand trou qu'il me faisait au fond du coeur,
Il s'en allait toujours, la tête haute, sans joie, sans haine,
Comme s'il ne pouvait plus voir le soleil dans ma demeure.

J'ai bien pensé mourir
De chagrin et d'ennui
J'avais cessé de rire
C'était toujours la nuit.
Il me restait l'oubli
Il me restait l' mépris
Enfin que j' me suis dit
Il me reste la vie!

J'ai repris mon bâton, mes deuils, mes peines et mes guenilles
Et je bats la semelle dans des pays de malheureux
Aujourd'hui quand je vois une fontaine ou une fille
Je fais un grand détour ou bien je me ferme les yeux

Félix Leclerc
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Le chat et l’oiseau

Un village écoute désolé
Le chant d’un oiseau blessé
C’est le seul oiseau du village
Et c’est le seul chat du village
Qui l’a à moitié dévoré
Et l’oiseau cesse de chanter
Le chat cesse de ronronner
Et de se lécher le museau
Et le village fait à l’oiseau
De merveilleuses funérailles
Et le chat qui est invité
Marche derrière le petit cercueil de paille
Où l’oiseau mort est allongé
Porté par une petite fille
Qui n’arrête pas de pleurer.
Si j’avais su que cela te fasse tant de peine
Lui dit le chat
Je l’aurai mangé tout entier
Et puis je t’aurai raconté
Que je l’avais vu s’envoler
S’envoler jusqu’au bout du monde
Là-bas c’est tellement loin
Que jamais on n’en revient
Tu aurais eu moins de chagrin
Simplement de la tristesse et des regrets.
Il ne faut jamais faire les choses à moitié.

Jacques PREVERT

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Le chat et le soleil

Le chat ouvrit les yeux,
Le soleil y entra,
Le chat ferma les yeux,
Le soleil y resta.

Voila pourquoi le soir,
Quand le chat se réveille,
J'aperçoit dans le noir,
Deux morceux de soleil.

Maurice Carême

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Rencontres

C'était sur une grande route, j'marchais là d'puis des jours
Voire des s'maines ou des mois, j'marchais là d'puis toujours
Une route pleine de virages, des trajectoires qui dévient
Un ch'min un peu bizarre, un peu tordu comme la vie
Evidemment j'étais pas tout seul, j'avais envie d'faire connaissance
Y'avait un tas d'personnes et personne marchait dans l'même sens
Alors j'continuais tout droit mais un doute s'est installé
Je savais pas c'que j'foutais là, encore moins où j'devais aller
Mais en ch'min au fil du temps j'ai fait des sacrées rencontres
Des trucs impressionants, faut absolument qu'j'vous raconte
Ces personnages que j'ai croisé c'est pas vraiment des êtres humains
Tu peux parler avec eux mais jamais leur serrer la main
Tout d'abord sur mon parcours j'ai rencontré l'innocence
Un être doux, très gentil mais qui manque un peu d'expérience
On a marché un p'tit moment, moins longtemps que c'que j'aurais cru
J'ai rencontré d'autres éléments et l'innocence a disparue
Un moment sur mon ch'min, j'ai rencontré le sport
Un mec physique, un peu grande gueule mais auprès d'qui tu d'viens fort
Pour des raisons techniques on a du s'quitter c'était dur
Mais finalement c'est bien comme ça, puis l'sport ça donne des courbatures
J'ai rencontré la poésie, elle avait un air bien prétentieux
Elle prétendait qu'avec les mots on pouvait traverser les cieux
J'lui ai dit j't'ai d'jà croisée et franchement tu vaux pas l'coup
On m'a parlé d'toi à l'école et t'avais l'air vraiment relou
Mais la poésie a insisté et m'a rattrapé sous d'autres formes
J'ai compris qu'elle était cool et qu'on pouvait braver ses normes
J'lui ai d'mandé tu penses qu'on peux vivre ensemble ? J'crois qu'j'suis
accroc
Elle m'a dit t'inquiêtes le monde appartient à ceux qui rêvent trop
Puis j'ai rencontré la détresse et franchement elle m'a saoulé
On a discuté vite fait mais rapidement je l'ai r'foulée
Elle a plein d'certitudes sous ses grands airs plein d'tension
Mais vous savez quoi ? La détresse, elle a pas d'conversations
Un moment sur ma route j'ai rencontré l'amour
J'lui ai dit tient tu tombes bien, j'veux t'parler d'puis toujours
Dans l'absolu t'es une bonne idée mais dans les faits c'est un peu nul
Tu pars en couille une fois sur deux faudrait qu'tu r'travaille ta formule
L'amour m'a dit écoute petit ça fait des siècles que j'fais mon taff
Alors tu m'parles sur un autre ton si tu veux pas t'manger des baffes
Moi j'veux bien être gentille mais faut qu'chacun y mette du sien
Les humains n'font aucun effort et moi j'suis pas un magicien
On s'est embrouillé un p'tit moment et c'est là qu'j'me suis rendu compte
Que l'amour était sympa mais que quand même il s'la raconte
Puis il m'a dit qu'il d'vait partir, il avait des rendez-vous par centaine
Que ce soir il d'vait diner chez sa d'mi-soeur : la haine
Avant d'partir j'ai pas bien compris, il m'a conseillé d'y croire toujours
Puis s'est éloigné sans s'retourner, c'était mes derniers mots d'amour
J'suis content d'l'avoir connu, ça j'l'ai bien réalisé
Et je sais qu'un d'ces quatre on s'ra amené à s'recroiser
Un peu plu stard sur mon ch'min j'ai rencontré la tendresse
Ce qui reste de l'amour derrière les barrières que le temps dresse
Un peu plus tard sur mon ch'min j'ai rencontré la nostalgie
La fiancée des bons souvenirs qu'on éclaire à la bougie
Assez tôt sur mon parcours j'avais rencontré l'amitié
Et jusqu'à c'jour, elle marche toujours à mes côtés
Avec elle j'ma tape des barres et on connait pas la routine
Maintenant c'est sûr, l'amitié, c'est vraiment ma meilleure copine
J'ai rencontré l'avenir mais il est resté très mystérieux
Il avait la voix déformée et un masque sur les yeux
Pas moyen d'mieux l'connaitre, il m'a laissé aucune piste
Je sais pas à quoi il r'semble mais au moins j'sais qu'il existe
J'ai rencontré quelques peines, j'ai rencontré beaucoup d'joie
C'est parfois une question d'chance, souvent une histoire de choix
J'suis pas au bout d'mes surprises, là d'sus y'a aucun doute
Et tous les jours je continue d'apprendre les codes de ma route

C'était sur une grande route, j'marchais là d'puis des jours
Voire des s'maines ou des mois, j'marchais là d'puis toujours
Une route pleine de virage, des trajectoires qui dévient
Un ch'min un peu bizarre, un peu tordu, un peu comme la vie.

Grands corps malade